RETOUR DU CORPS DU CAPITAINE MARIDOR
au Havre, le 19 décembre 1948


 
   

 
 

Général Martial VALINMonsieur Jean MOREAU, Secrétaire d'Etat aux Forces Armées "AIR" a apporté ce matin l'hommage de l'Armée de l'Air au Capitaine Jean MARIDOR, tombé au Champ d'Honneur.

    C'est au nom du Général de Gaulle, et en celui de tous les anciens des Forces Françaises Libres, que je viens accueillir sur la terre de France notre compagnon qui n'a pas eu, comme nous, la chance d'y revenir en Libérateur.

    Pendant la première grande guerre, les grands as de l'Aviation étaient connus du public, car leurs noms figuraient sur les communiqués. Chaque victoire aérienne leur apportait en outre une nouvelle citation à l'Ordre du Jour. Ainsi leur Croix de Guerre s'allongeait à mesure que le ruban s'alourdissait d'un plus grand nombre de palmes.

    En 1939-1945, on fut généralement plus discret. En particulier pour ceux qui, depuis 1940, continuaient la lutte dans les rangs alliés, il fallait songer aux représailles possibles sur les familles demeurées en France. Quant aux décorations, nous suivions aux F.A.F.L. les usages de la R.A.F. avec laquelle nous combattions et il était ainsi exigé plusieurs faits d'armes et un nombre important de missions pour recevoir la Croix de Guerre.

    C'est pour cela que Jean MARIDOR était relativement peu connu et peu décoré. Je le juge cependant comparable à GUYNEMER, au nom prestigieux, qu'aucun français n'ignore. J'ai dit, peu décoré, car ce fut seulement la 7ème palme que j'épinglai avec ma propre Légion d'Honneur, au drap tricolore recouvrant son cercueil, lorsque nous l'avons conduit dans un cimetière des environs de Londres au lendemain de sa mort. Il avait alors 380 h. de vol de guerre, détruit à l'ennemi : 25 bateaux, plus de cent chars, camions, locomotives et autres véhicules, remporté 10 victoires aériennes et abattus 10 bombes volantes. Il est vrai que le Général de Gaulle l'avait fait Compagnon de la Libération et que le Roi d'Angleterre lui avait donné la D.F.C. avec barre. J'ai dit peu connu, puisque si de Londres, à plusieurs reprises, j'ai raconté ses prouesses, je le désignais par une appellation imaginée pour attirer l'attention des siens sans les compromettre aux yeux de l'occupant.

    Né en cette ville du Havre, cité autrefois riante et gaie, aujourd'hui ville martyre avec ses 5.000 victimes civiles, le 24 novembre 1920, issu de ces familles françaises modestes et honnêtes dans lesquelles le travail est plus de règle que le profit, Jean MARIDOR dût renoncer très tôt aux études pour gagner sa vie. Mais il avait le goût de l'Air et était un assidu de l'Aéro-Club de sa ville natale. Aussi, lorsque la guerre éclate, il s'engage aussitôt dans l'Armée de l'Air et l'armistice le trouve avec le grade de Caporal-Chef, pilote-élève à l'Ecole de chasse d'Etampes. Celle-ce, suivant les étapes de la débâcle, est repliée d'Etampes successivement à La Rochelle, puis à Saubrigues, dans les Landes.

    C'est là, qu'au soir du 18 juin 1940, MARIDOR entendit l'appel, désormais historique du Général de GAULLE ; il n'hésite pas et part immé&diatement à Saint Jean de Luz avec quatre camarades. Là, il réussit à se mêler aux soldats polonais qui s'embarquent sur 'lArrandora Star" et il arrive en Angleterre.

    A force de volonté, en quelques mois, il apprend l'anglais et il est afffecté en escadrille britannique. C'est là que je le rencontrai pour la première fois au Printemps de 1941. J'avais été visiter un aérodrome avec le Chef des Français Libres. C'était sur la côte du Pas-de Calais et de la falaise, à proximité du terrain, nous avions été voir s'estomper au loin les rivages de France. je fus séduit par ce jeune garçon aux yeux rieurs qui m'expliquait si simplement, en regardant la mer, la façon dont il approchait les bateaux ennemis qu'il attaquait. Il vint me voir souvent par la suite. Il me demandait toujours quelque appui pour un camarade moins favorisé. Pour lui, il ne sollicitait qu'une faveur, celle de se battre.

    Au cours des années 1941 et 1942, le Lieutenant Jean MARIDOR se spécialisa dans l'attaque des petits caboteurs et bateaux flack allemands utilisés dans les ports de Belgique et du Nord de la France. Ces bateaux étaient admirablement armés et il fallait beaucoup de hardiesse et une extrême habileté pour les attaquer. On s'approche bien en louvoyant, mais il faut tout de même terminer par une ligne droite. Alors, c'est le feu du Spitfire contre le feu du bateau, c'est la lutte à 1 contre 10 et plus. 25 fois, les canons de MARIDOR eurent raison de ceux du bateau, mais plus de 25 fois, l'avion rentra criblé de projectiles. Deux fois, il fût même obligé de sauter en parachute, deux fois il fut blessé. C'est à l'occasion de semblables opérations que MARIDOR remporta ses victoires aériennes.

    Il lui arrivait souvent de défier les pilotes allemands par leur radio d'écoute, les conviant à venir se mesurer en combat singulier dans le ciel.

    Souvent, il prolongeait ses missions dans l'espoir d'une de ces rencontres, dont il sortait toujours vainqueur.

    Un jour, à FOLKESTONE, alors qu'il revenait à regret de l'une de ses missions d'attaques de bateaux, il rencontre 12 Focke Wulf qui s'en venaient, au ras des flots, pour bombarder la ville. Il est seul, mais qu'importe, il fonce sur le peloton ennemi et, en deux passes, il abat deux appareils, les autres se dispersent, larguant leurs bombes dans la mer, afin de se dérober plus vite. Après cet exploi, la Ville de FOLKESTONE le reçut officiellement à la Maison Municipale, pour lui exprimer la gratitude des habitants.

    En 1943, il participa à la grande entreprise de destruction des communications ennemies. Ce travail ne l'intéressait pas, mais disait-il, comme il n'y a plus d'avions boches dans le ciel, il faut bien faire quelque chose. Il ne tenait même pas le compte de ses succès. D'après les rapports qui me furent adressés, j'ai pu cependant juger qu'ils dépassaient la trentaine, portant sur les objectifs les plus variés, depuis le char d'assaut jusqu'au radar où à la station de transformateurs électriques.

    En 1944, le Capitaine Jean MARIDOR refusa le poste de Commandant de Groupe qui lui aurait pourtant valu son 4ème galon. Pensez donc : il venait de recevoir un Spitfire XIV, l'appareil le plus rapide du monde à l'époque. Les victoires qu'il comptait remporter dans la bataille prochaine du débarquement l'intéressaient beaucoup plus que son avancement.

    Mais les avions allemands avaient totalement disparu du ciel et ce fut la chasse aux bombes volantes qui devint sa mission quotidienne. Il réussit là remarquablement, comme partout, malgré les difficultés et les dangers que ce travail présentait.

    Le 11ème robot qu'il envoya au sol lui coûta la vie dans des circonstances particulièrement glorieuses et émouvantes. Touché par une première rafale, ayant son empennage sans doute endommagé, l'engin se mit à piquer vers le sol. Malheureusement, sa trajectoire la dirigeait vers un immense hôpital.

    Médecins et infirmiers s'attendaient à une catastrophe en voyant ces deux bolides fonçant sur eux à une vitesse formidable. Mais l'avion se rapproche encore de la bombe et tire de tous ses canons. Alors, tout à coup, une immense flamme rougeatre traverse le ciel et le vombrissement des moteurs semble éclater en une explosion déchirante. Puis, subitement, c'est le grand silence, silence impressionnant, après le tonnerre qui l'a précédé.

    Quelques débris s'échappent du nuage épais de fumée noire, l'un de ceux-ci semble tomber moins vite. C'est une aile brisée qui s'essaye à voler encore. Un petit Français a fait plus que son devoir. De nombreuses vies humaines ont été épargnées.

    C'est ainsi que le 3 août 1944, mourut à 24 ans, le Capitaine Jean MARIDOR, un des meilleurs pilotes de notre aviation, un des meilleurs parmi ceux qui jamais ne doutèrent des destinées de la Patrie.

    Il va reposer de son dernier sommeil, bercé par le chant des vagues dont il a si souvent effleuré les crêtes.au retour de ses missions avantureuses. Il aura retrouvé aussi le rêve de sa jeunesse, au chant des moteurs et au frémissement des ailes des jeunes qui s'instruiront à son exemple sur l'aérodrome tout proche.

    Des cinq camarades partis ensembles au soir du 18 juin 1940, aucun ne reste. Le lieutenant LEON, quoique Israélite et très riche, a été volontaire pour le Groupe "Normandie", ce Groupe auquel j'ai donné le nom de votre Province pour vous honorer, habitants du Havre qui avez tant souffert. Il est mort en Russie, après avoir remporté 2 victoires aériennes. Les autres sont tombés en faisant modestement leur devoir. La glooire n'en a touché qu'un de son aile. C'est vous, Jean MARIDOR. Mais votre nom sonne comme un nom de victoire. Il est facile à retenir, les Français ne l'oublieront pas.

    En connaissant votre simplicité de coeur et l'amitié que vous diffusiez si généreusement autour de vous, je sais que vous m'approuverez d'unir à votre gloire celle de vos compagnons de route demeurés plus obscurs, celle aussi de votre camarade FAYOLE, petit-fils de Maréchal de France, Commandant à 23 ans, disparu à côté d'ici, à l'attaque de DIEPPE, en septembre 1942, celle enfin de tous ceux qui se sont sacrifiés pour conserver son honneur à la France.

    Nous avons contracté une dette envers vous tous, les glorieux et les humbles, nous saurons nous souvenir, comme disait le Grand Ecrivain BERNANOS, que l'honneur d'un peuple appartient aux morts, les vivants n'en ont que l'usufruit. 

 
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